ALBUM - Dj Gil - Chronique by Jason Moreau - 30 SEPT 2014
Par Party Time le mercredi 1 octobre 2014, 17:17 - Albums/Singles - Lien permanent
Certains génies ne sont pas sous les feux des projecteurs mais contribuent tout autant au rayonnement et à l’évolution du reggae-dancehall. En valeur sûre de la musique antillaise et caribéenne, DJ Gil est en quelques sortes le Timbaland martiniquais en termes de production. Si son nom commence à circuler quand il se voit invité à mixer lors des célèbres Nostalgie Nights de DJ Jeff, c’est à partir de la Beach de Toulouse en 2002 qu’il s’impose parmi les meilleurs Disc Jockeys des Antilles. Ne se limitant pas à la discipline des platines, Gilles Boulard se forge discrètement sa science du son. Les collaborations avec plusieurs artistes dancehall tels que Kalash ou Valley et en particulier avec Paille sur l’excellent album « Inflammable » qu’il a réalisé ont depuis consolidé sa réputation de grande pointure. Voilà que DJ Gil nous a dévoilé le 30 juin dernier sa perception de la musique caribéenne à travers son premier album « Just as I am ».
Une célébration de la musique caribéenne
21 titres et autant d’artistes, avec une répartition équitable entre les antillais et les caribéens au sens large. DJ Gil a composé en intégralité son premier projet, avec l’appui de musiciens pour les instruments présents sur certains morceaux. « Just as I am » se veut donc en célébration de la musique caribéenne. La dancehall est logiquement l’ambiance dominante, mais le reggae et du zouk ne manquent pas de venir contraster et équilibrer les sonorités et les influences tout au long de ce disque. DJ Gil explique le choix d’un disque multicolore et multi-sonore de par la logique de sa culture :
«J'ai eu la chance de grandir dans une famille où l'on écoutait aussi bien du Demis Roussos que du Gramacks en passant par Kassav, la Perfecta ou encore Bob Marley. Du coup, il m'est venu naturellement de faire quelque chose de varié. Je suis quelqu'un de relativement ouvert musicalement (en dépit de ce que peuvent penser certains) et cet album en est l'illustration.»
Le premier titre est l’exemple parfait de ce carrefour culturel dans lequel baignent les Antilles: la Barbadienne Alison Hinds allie sur Gimme di zouk la rythmique de la soca à la mélodie du zouk, le créole prenant même de temps à autres le relais de son anglais. Si plusieurs noms jamaïcains y figurent, l’intention n’était pas de sortir un album avec tous les deejays du moment, qu’ils soient jamaïcains ou antillais :
« Sur le track-listing, artistes connus et moins connus, confirmés ou en devenir, se succèdent car il s'agissait pour moi avant tout de faire intervenir ceux dont j'apprécie le travail plutôt que de surfer sur la popularité de certains dont je n'adhère pas la musique. »
Les artistes antillais aussi performants que les jamaïcains
Ici Chico laisse la place à Paille, tandis qu’Aidonia enchaine après Politik Naï. Konshens et Wayne Wonder sont même isolés en queue de liste, ce qui n’altère en rien la qualité de leurs morceaux respectifs. DJ Gil n’a malgré tout pas omis le clin d’œil à la tradition du « One Riddim » avec les trois tunes de Lieutenant, Jayanhaï et Taï J. Ces derniers en forme se montrent excellents en signant des morceaux charismatiques avec un brin de fond. Respectant l’univers sur lequel vit chaque artiste, DJ Gil a su s’adapter à leur identité musicale pour les mettre dans les meilleures conditions. L’intention était que chacun joue à domicile. C’est ainsi que l’on peut entendre un inédit de Paille (trois ans après son album « Inflammable ») dans une forme incandescente sur Abimans’: il nous raconte plusieurs histoires, mélange l’humour et l’ironie, le tout en glissant quelques quenelles sauce créole. Sé déyè style ki ni style. (Un style en cache toujours un autre)
Les plus belles surprises de « Just as I am » sont rythmées par les vibes du reggae. Politik Naï nous prend à revers avec No stress, illustrant une fois de plus qu’il est cent fois plus doué pour le reggae que pour la dancehall. Wayne Wonder ne manque quant à lui pas de nous de rappeler qu’il reste un éternel romantique avec le charmant Dedicate this. Mais la chanson phare de cet album est sans aucun doute signée Valley qui chante avec une maîtrise vocale exceptionnelle les séquelles de son cœur et son âme sur Viv, rappelant le touchant I surrender du légendaire Beres Hammond. On n’avait pas entendu de morceau aussi poignant depuis des lustres. Un bijou rempli d’émotion et de sincérité appuyée par une mélodie roots admirablement produite par DJ Gil :
« Je préfère te voir partir et vivre en martyr, même si j’ai tout simplement beaucoup de mal à vivre sans toi, à réapprendre à vivre sans toi… »
A l’heure où l’on reproche au mouvement reggae-dancehall d’être en perte de vitesse, DJ Gil réalise un album qui démontre tout le contraire. Les artistes inspirés et ouverts musicalement ont su proposer des morceaux intéressants dont certains resteront longtemps, qui plairont tant au public novice qu’aux puristes. « Just as I am » prend en compte les influences et héritages laissés par toutes les époques du reggae, du ragga, du zouk pour en faire un disque moderne et intemporel, authentique et cohérent avec la culture caribéenne dans son ensemble. « Just as I am » est le reflet de la musique caribéenne « telle qu’elle est », simplement.